Une bombe
Je suis complètement bouleversée

Bien sûr Jan est un homme de tous les excès .

Son théâtre parle du dépassement de soi, de l’épuisement des corps ,du flirt avec ses propres limites .
C’est un théâtre qui bouscule les idées reçues, qui refuse les conventions, qui défie la transgression, qui recherche les extrêmes .
C’est un théâtre de la cruauté, de l’amour, de la folie, et de la sexualité.

Jan a toujours réussi à créer un groupe avec des gens qui viennent d’horizons complètement différents mais qui sont fédérés autour de la cohérence d’un projet.
L’espace de répétition chez Troubleyn, est un endroit de liberté, de créativité bouillonnante, de recherche.
Un espace où on peut se tromper, se fourvoyer, se perdre en confiance parce qu’on sait qu’il y a un oeil vigilant qui nous fera émerger du brouillard. Jan parvient, comme personne, à mettre en tension le contenu métaphorique du spectacle avec son exigence esthétique. Le fond et la forme.
Il y a dans la salle de répétition un plaisir de jouer, de partager, de proposer, d’argumenter.
Il me semble que sur la scène de Jan tout le monde est beau, tout le monde est valorisé, tout le monde est au meilleur de sa forme.

Pour aller aussi loin,les acteurs doivent se sentir en confiance, avoir un rapport de bienveillance avec celui qui les dirige et avoir foi dans la radicalité de ses choix artistiques.

Mais un théâtre de passions comme celui-là, ne peut faire l’impasse sur des moments de doute, de découragement, de crise.

Personnellement, j’ai vis-à-vis de Jan Fabre une dette énorme et je ne l’oublierai jamais. Il est venu me chercher, m’a proposé de partager des moments de théâtre parmi les plus beaux que j’ai vécus ,il m’a toujours respectée et a toujours respecté mes limites.
Il m’a offert des moments d’une formidable intensité et d’une grande générosité.

C’est donc avec une profonde tristesse que j’ai découvert la manière dont certaines danseuses avaient vécu leur expérience chez Troubleyn.
Je respecte ces femmes, je connais la plupart d’entre elles. Je les ai admirées sur scène, je les ai vues grandir et s’épanouir au cours du travail.
Je les ai vues proposer les scènes les plus audacieuses, les plus exigeantes et les défendre avec bravoure.
Je les ai vues endosser leur partition scénique avec plaisir, avec dévouement, avec fierté, avec beauté, avec conviction.
Je les ai vues se battre avec elles-mêmes pour toucher l’excellence.
Nous avons partagé des moments inoubliables et une complicité sincère.
Et je découvre des blessures et des rancoeurs que je n’avais pas imaginées.

Je regarde les interviews données ces derniers temps par quelques-uns des acteurs à propos des derniers spectacles que Jan a signés. Tout le monde parle toujours d’enthousiasme, de plaisir de complicité dans le travail, d’encouragement au sein de l’équipe.

Un journaliste demande à deux acteurs, un jeune et l’autre plus âgé, ce qui nous fait tenir tout au long de ces passionnantes 24 heures de spectacle et la réponse est toute simple: notre seul remède c’est de l’eau claire et beaucoup d’amour.

Oui, de l’amour, du plaisir et de la fulgurance, voilà ce que je retiens des années passées chez Troubleyn/Jan Fabre.
Et je déplore de tout mon coeur que ce ne soit pas le cas pour tout le monde.