Cher Jan,
Dans quelques heures je joue ‘Attends Attends Attends… (pour mon père)’ à Ferrara, et je regarde en arrière sur toutes les années que nous avons partagées au sein de la compagnie Troubleyn.
C’est vertigineux de penser que 20 ans se sont écoulés depuis notre première rencontre, et que je n’ai pas vu le temps passer.
Toi et moi nous avons des cheveux blancs, surtout toi, et cette furieuse envie de créer de nouveaux spectacles est toujours intacte.
Tu m’as fait cadeau il y a quelques années de ce solo que je vais jouer ce soir, de ce texte que tu as écrit sur moi, mon père et toi, de ce temps précieux que nous avons passé ensemble, et j’en suis fier.
Il y a trois mois, après la publication dans la presse de la lettre ouverte t’accusant de comportement inapproprié au sein de la compagnie, tu as décidé de te mettre en retrait.
Je respecte ton choix et je pense que tu en as besoin, mais je me dois de te dire que sans toi le travail au sein de Troubleyn ne m’intéresse pas. Tu dois revenir.
L’énergie et la force créatrice que tu insuffles dans la compagnie sont contagieuses et elles ont été le moteur de toutes ces aventures.
Je n’ai jamais été témoin de propos de ta part ancrés dans la haine, le racisme, le sexisme ou la misogynie. Je ne t’ai jamais vu humilier quiconque sur scène ou hors de scène.
Tu as un franc parlé c’est sûr, direct et sans arrondi, et c’est exactement pour cela que je t’aime. Tu ne te caches pas.
Un metteur en scène a récemment déploré tes « méthodes » sans lesquelles, selon lui, tu ne pourrais arriver à un tel résultat, nous comparant à des athlètes dopés à l’humiliation et la soumission et appelant à les faire cesser. Il ne sait pas toute la générosité et l’empathie qu’il peut y avoir dans notre travail, il ne sait pas que tout ce que nous faisons est basé sur un commun accord et un consentement mutuel, il ne sait pas car il nous juge sans être venu nous voir en répétition. Pour avoir enseignés les exercices du Jan Fabre Teaching Group je vois bien l’impact positif qu’ils ont sur les performeurs et le plaisir intense et irradiant qui se dégage d’eux, je vois bien l’expansion de leur domaine de jeu.
Et c’est ce que tu as cherché en notre compagnie durant toutes ces années. Chaque performeur t’a aidé à affiner la ligne directrice de ton travail.
Alors oui les dernières heures ont été sombres et cruelles et j’espère, je souhaite, que toute la lumière puisse venir éclairer cette situation pour toi et pour les personnes qui ont signé cette lettre. Pour tout reconstruire et créer un futur pour Troubleyn.
Cédric Charron, Décembre 2018