(English below)

Et alors tu es là un stylo à la main le doute dans les veines, toi d’habitude enfoncé dans le fauteuil rouge, toi spectatrice de la beauté, soudain et sans transition tu deviens sujet.

Et alors tu désires de tout ton corps n’avoir jamais blessé personne, ne plus jamais blesser personne, ne jamais avoir été blessée. Mais tu es dans ce fauteuil avec tes fêlures tes brisures tes déchirures.

Et alors tu entends : enjoy your tragedy, breathe, take a breath, take a deep breath and imagine something new. Et la seule chose nouvelle qui surgit est la clémence, la clémence qui émerge de la conviction que tu ne peux pas t’exclure de la responsabilité de ceux qui sont blessés, de tous les blessés, de tes blessures.

Et alors tu entends au State of the Union 2020 que les jeunes demandent la justice dans les arts de la scène. Ils demandent qu’il y ait un quota de femmes, un quota de migrants. Et alors tu te demandes : C’est quoi la justice ? C’est quoi la justice dans l’art ?

Et alors tu penses que la loi demande jugement, et moi aussi je veux que les gens qui en blessent d’autres puissent régler leur dette, ce n’est que juste et salutaire, pour les blessés, pour eux-mêmes. Mais la justice c’est impossible qu’elle émerge d’un jugement. Parfois quelqu’un parvient à s’introduire dans mes fêlures. Celui qui y arrive, celui qui arrive à injecter un peu de lumière dans mes déchirures, c’est lui qui me porte, qui me soigne, qui me guérit, qui me console et qui m’aide et c’est lui qui convient au travail, fut il un homme de peau blanche. Et alors tu espères et tu désires du plus profond de ton cœur que cet homme puisse être vu dans sa totalité, et là tu penses que c’est çà la justice, mais en même temps tu n’en sais rien.

A l’école de théâtre on nous disait que pour livrer de la qualité sur les planches on devait prendre plaisir à jouer, que les spectateurs perçoivent cela tout de suite et que c’est contagieux. Les représentations de Jan Fabre génèrent tant de plaisir et de joie chez les spectateurs qu’il y en a indubitablement, partout. Et alors tu espères et tu désires que ça aussi c’est une partie de la justice, et en même temps tu sais que personne ne le sait.

La seule chose que je sais c’est que le chevalier de la Lumière, le serviteur de la beauté sont parties de moi, et que je demande pardon et clémence, au nom de la grâce.

Mû – Muriel Marcovici

ENG

And then

And then suddenly you are sitting there with a pen in your hands and your mouth full of teeth. You, who usually sits in a red chair, a spectator of beauty, suddenly you become the subject.

And then you wish with all your body that you, yourself, had never hurt anyone, that you would never hurt anyone again, and that you had never been hurt. But you are sitting in that seat with your cracks, with your fractures.

And then you hear: “enjoy your tragedy, breathe, take a breath, take a deep breath and imagine something new”… And the only new thing that rises in you is a feeling of gentleness, the mildness that comes with the knowledge that you cannot exclude yourself from the responsibility for those who are hurt, for all the hurt, for yourself.

And then you hear in the ‘State of the Union 2020’ that today’s youth are asking for justice in the performing arts. They ask for an equal number of women and immigrants to be appointed, the same as white men. And then you think: what is justice, and what is justice in the arts?

And then you think: justice demands judgement, and I too want people who hurt others to have a chance to settle their guilt. Justice is not about judgement. Sometimes someone manages to crawl straight into my cracks, to get under my skin. The person who can do that, who can bring a little light to those fractures inside me, carries me, heals me, helps and comforts me, and he is suitable for the job, even if he is a white man. And then you hope and desire deep in your heart that this man can be considered in his entirety, that is justice you think, and at the same time you don’t know.

At drama school we were told that to achieve excellence, we had to enjoy ourselves when performing. The audience sees and feels that and also immediately experiences pleasure. The performances by Jan Fabre generate so much joy and pleasure, there was no doubt about that, anywhere. And then you hope and desire that this is also part of justice, and at the same time you know that nobody knows. The only thing I know is that the knight of light, the servant of beauty is part of myself and that I too ask for forgiveness and mercy in the name of grace that touches us all.

Mû – Muriel Marcovici